POLLUTION | Finalement le bois ne semble pas être la bonne solution pour l’écologie et la transition énergétique.

Dans une lettre adressée notamment à Joe Biden et Ursula von der Leyen, des spécialistes affirment que recourir massivement à la biomasse forestière peut porter atteinte aux objectifs climatiques et à la biodiversité. 500 scientifiques alertent sur le fait que le bois n’est pas une alternative à la combustion fossile !


Publié le 11 février 2021 par Perrine Mouterde

Le président américain Joe Biden, les responsables européens Ursula von der Leyen et Charles Michel, le premier ministre japonais Yoshihide Suga et le président sud-coréen Moon Jae-in. C’est à ces dirigeants que plus de 500 scientifiques et économistes adressent une lettre, jeudi 11 février, pour mettre en garde contre l’utilisation de la biomasse forestière. « Nous vous exhortons à ne pas porter atteinte à la fois aux objectifs climatiques et à la biodiversité en remplaçant la combustion fossile par le fait de brûler des arbres pour produire de l’énergie », écrivent les signataires, dont l’éminent biologiste américain Peter H. Raven.
A l’heure où le nouveau locataire de la Maison Blanche multiplie les initiatives visant à décarboner le secteur énergétique, et alors que la directive européenne sur les énergies renouvelables de 2018 est en cours de réexamen, ces scientifiques appellent les décideurs à mettre un terme aux subventions et aux dispositifs incitant à brûler du bois provenant de leurs forêts – ou de celle d’autres pays – à une échelle industrielle, dans le but de produire de la chaleur ou de l’électricité. « Les arbres ont plus de valeur vivants que morts », insistent-ils.
Ces dernières années, le secteur a connu une forte croissance. Selon un rapport du service scientifique de la Commission européenne publié en janvier, le recours à la biomasse forestière (bois sous forme de bûches ou granulés, sous-produits de l’exploitation forestière, rebuts des scieries, des papeteries…) pour la production d’énergie a augmenté de 34 % entre 2005 et 2018. Au sein de l’Union européenne (UE), la production de granulés a également été multipliée par 100 en près de vingt ans, mais ne couvre toujours que deux tiers des besoins.
« L’important est ce qui brûle »

« L’Union européenne considère que la biomasse forestière est une énergie renouvelable et neutre en carbone, explique Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS, professeur d’écologie globale et signataire de la lettre. Mais ce n’est pas vrai à l’échelle de temps qui est importante pour éviter l’aggravation de la déstabilisation du climat. Un kilo de carbone brûlé – peu importe d’où il vient – augmente la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Même si des forêts sont replantées, ce CO2 ne sera absorbé de nouveau que des décennies plus tard, une fois que les arbres auront repoussé. Ce sera trop tard. » Car le temps presse pour réussir à limiter le réchauffement de la planète. L’UE s’est engagée, en décembre, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990, afin d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
« Ce qui est parfois difficile à comprendre, c’est qu’en termes climatiques, l’important est ce qui brûle, pas comment la ressource est produite, ajoute Alex Mason, chargé des questions énergie et climat au bureau politique européen du Fonds mondial pour la nature (WWF). Vous pouvez avoir une forêt parfaitement gérée, des superficies forestières qui augmentent dans de nombreux pays, cela ne veut pas dire que récolter et brûler du bois aura moins d’impact que la combustion d’énergies fossiles. »
Dans leur lettre, les scientifiques rappellent que de nombreuses études ont montré que la combustion de bois risquait d’accélérer le réchauffement climatique pendant des décennies – même lorsque cette ressource remplace du charbon, du pétrole ou du gaz naturel. « Chaque kilowattheure de chaleur ou d’électricité produit en utilisant du bois pourrait probablement ajouter deux à trois fois plus de carbone dans l’air que l’utilisation de combustibles fossiles », précisent-ils.
2 700 km2 de forêt par an

La Commission européenne a analysé, dans son rapport de janvier, 24 scénarios en fonction des différents types de biomasse forestière. Elle conclut que seule l’utilisation d’une quantité limitée de débris de conifères, tels des brindilles ou des petites branches, est susceptible de réduire les émissions de gaz à effet de serre à court terme – en dix à vingt ans – sans nuire à la biodiversité. « Ce rapport montre comment des milliards de subventions publiques pour la conversion [de centrales thermiques] en centrales biomasse aggravent les émissions de carbone depuis de nombreuses décennies », a réagi Michael Norton, directeur du programme environnemental du Conseil consultatif des académies des sciences européennes.
Au niveau européen, le centre de réflexion Ember, spécialisé dans la transition énergétique, identifiait 67 projets de conversion de centrales à charbon en centrales à biomasse en 2019, notamment en Finlande, en Allemagne, en Irlande, en Espagne et aux Pays-Bas. Il calculait que ces installations nécessiteraient de détruire quelque 2 700 km2 de forêt par an pour fonctionner – l’équivalent de la moitié de la Forêt-Noire, en Allemagne. En France, la filière souligne que les prélèvements de bois, tous usages confondus, sont inférieurs à l’accroissement naturel de la forêt.
Le bois énergie, qui se substitue à des énergies fossiles importées, est essentiellement utilisé pour produire de la chaleur, à l’échelle locale et en valorisant des usages circulaires de l’économie. « On a besoin de la science et d’échanges sur ce sujet, observe Ghislain Eschasseriaux, le délégué général de la Fédération des services énergie environnement. Le bois participe à l’évolution du mix énergétique mais on ne prétend pas qu’il doive être la seule solution. »
En janvier 2018, près de 800 scientifiques – dont Peter H. Raven ou Wolfgang Cramer – avaient déjà alerté le Parlement européen. Aujourd’hui, ils appellent de nouveau les dirigeants à cesser de considérer l’ensemble de la biomasse forestière comme une source d’énergie neutre en carbone. « Nous espérons que cette fois-ci cette lettre aura plus d’impact, note Alex Mason. Beaucoup de gens commencent à comprendre qu’il y a un problème, il faudra voir si les décideurs auront le courage de s’attaquer aux lobbys et à l’industrie. »
Perrine Mouterde

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